dimanche 11 septembre 2011

A propos de Jean Giono et de sa pièce Le Bout de la Route

C'était au printemps, dans un autre théâtre, La Criée à Marseille...
                                un autre auteur, Jean Giono...
                                un autre metteur en scène, Francois Rancillac, Directeur du Théâtre de L'Aquarium...
et la même révélation par les mots.
Le décor est noir, aussi noir que celui de l'Agamemnon de Sénèque est blanc, un décor qu'on croirait issu des Outrenoirs de Pierre Soulages.
"Avec le noir, c'est la lumière qui apparaît", dit le peintre, noir et lumière en absence de mots. Mais le théâtre, lui, est langage.Et c'est la langue ample, poétique, charnue de Giono qu'il faut entendre révéler les forces obscures    qui déchirent les personnages pour jaillir dans la lumière. C'est un langue concrète et lyrique où résonnent les voix des tragédies grecques.

Résumé de la pièce              

Par une nuit d’hiver, en pleine montagne, ça toque à la porte ! Entre, sans qu’on l’y invite, un grand gaillard au sourire fêlé et à la parole douce, tout étonné lui-même d’être parmi des humains. « Est-ce ici le bout de la route ? », il demande, ainsi qu’un peu de repos pour la nuit, et de l’ouvrage pour demain.
Rosine, la patronne, le dévisage en silence : la faucheuse lui a ravi coup sur coup son mari et son aînée. Depuis, sa belle-mère vit cloîtrée dans le noir de sa chambre, piaulant sa douleur toute la sainte journée. Sa cadette, Mina, est bien fiancée à l’Albert, qui est brave berger, mais sera-t-il de taille pour tenir la ferme ? Alors, contre toute attente, la rêche Rosine accueille l’étranger, et lui promet du labeur jusqu’à plus soif. Voilà comment Jean fit halte parmi les vivants…
Ce n’est pas que Jean travaille : il se saoule de travail. Du matin au soir, il remue la terre, bat le blé, pétrit le pain, soigne les bêtes, coupe du bois ou monte des murs comme s’il voulait se dissoudre dans l’effort et la sueur. Au village, il a tôt fait d’être aimé de tous, jeunes et vieux, car Jean sait pour chacun, d’un grand rire ou d’un mot juste, délester les coeurs et redonner espoir. À son côté, on se sent comme revivre : même la grand’mère est sortie de sa retraite endeuillée pour venir lui parler !
Mais pourquoi Jean reste-il si solitaire ? On dit qu’il parle tout haut parfois, la nuit, des heures à converser avec une femme imaginaire – sa propre femme, justement, d’après certains, celle qu’il a fuie en apprenant qu’elle le trompait avec un autre homme…
Enfin arrive le printemps si longtemps désiré, et la nature est éclaboussante de vitalité. Mina, elle, s’étiole, consumée par son amour pour Jean qu’elle cache de moins en moins, que chacun sait au village, sauf l’intéressé qui ne voit rien... Albert a renoncé, Rosine a alerté Jean, Mina a ravalé toute pudeur pour se déclarer, mais rien n’y fait : quand Jean réalise enfin la situation, il attrape son baluchon et reprend la route en s’excusant : avec sa femme, il ne fait plus partie du monde des vivants…

Acte I, scène I           

Rosine : Qu’est-ce que c’est que cette chanson-là ?
Jean : C’est la chanson d’un homme seul. Il n’est pas seul celui qui peut toucher une bête ou un arbre, ou s’approcher avec ses yeux du brouillard bleu ou du soleil. Il n’est pas seul celui qui a goût au jour. Celui qui a un nez, une bouche, des yeux, des oreilles, une bonne chair d’animal. Tout lui tient compagnie. Il y a de grosses joies qui passent dans l’air du temps comme des poissons enflammés. Je n’ai plus rien.
Rosine : Regarde-moi un peu, toi. Qu’est-ce que c’est que ton goût de bouche ?
Jean : Cendres, maintenant.
          

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