mercredi 23 octobre 2013

GIONO...AU CREUSET DES MOTS



                 
                               

                             JEAN   GIONO



          DEUX  CAVALIERS   DE   L'ORAGE








Au creuset des mots, dans la langue douce et dure, assurée et tremblante, poétique et cruelle, la langue de Giono, se lève peu à peu, comme un relief que révèle le brouillard dissipé, une formidable histoire, oui formidable, c'est-à-dire bouleversante et terrifiante. 

La réalité naît des mots qui se cherchent en pourchassant la vie et les êtres. On les voit se métamorphoser sans cesse dans leur quête assidue. Ils guettent, traquent, frôlent et caressent les âmes des personnages et les poussent à se dévoiler, à se réaliser sous nos yeux. 
Marceau et Ange, les deux frères héros du roman, s'aiment et s'admirent mutuellement. Ce que Giono traque en eux, sans relâche ni concession, c'est cet amour fou qui porte en lui la destruction et la mort.

La composition du roman est une respiration. Le souffle bien rythmé d'un marcheur déterminé pousse fermement devant lui les trois premiers chapitres, l'histoire des Jason, le père, les fils, les deux guerres et le travail passionné, les mules et les chevaux.

Puis, dans un long chapitre, la respiration ralentit, se suspend, apeurée. Giono joue avec les nerfs du lecteur, lui prédit une catastrophe imminente que tout semble annoncer inévitable, la couleur du ciel et les craintes prémonitoires des femmes. Marceau et Ange sont en danger, on ne sait lequel mais ils sont assurément en danger. La catastrophe avorte. les deux frères rentrent sains et saufs, ils arborent même, triomphants, un trophée, un énorme quartier sanguinolent d'un cheval mort, abattu par Marceau. 

Et les femmes s'agglutinent autour de "cette chose pleine de sang". "Mais c'est du sang, elles se taisent, elles attendent, elles écoutent, elles ne bougent pas...Quelle histoire! La plus grande histoire du monde...Le sang est le plus beau théâtre". Cet instant est le cœur du récit, la véritable annonce de la véritable catastrophe à venir!

Alors la respiration s'accélère de plus en plus durant cinq chapitres jusqu'au halètement final, au dernier hoquet d'Ange fauché d'un grand coup de serpe.

Les mots de Giono ont touché le fond de l'âme mise à nu dans sa bouleversante cruauté. L'homme est un héros tragique, incapable, même au plus fort de l'amour, d'échapper à la violence et au sang.

Giono, on le sait, est sorti de l'expérience de la guerre sidéré par cette découverte. La fascination et la malédiction du sang versé hantent ses œuvres, ainsi Un Roi sans divertissement.






RESUME

C'est une histoire d'amour entre deux frères, l'un puissant, protecteur et dominateur, Marceau dont la force physique et la volonté sans faille viennent à bout de toutes les difficultés, l'autre, délicat, ébloui, éblouissant, Ange "Mon Cadet", qui n'existe d'abord que dans ce contraste violent avec son frère. 
C'est une histoire d'amour dans les Hautes Terres "par là- haut", c'est donc une histoire d'amour fou et désespéré, c'est l'histoire des Jason.
Quel résumé pourra jamais donner la moindre idée de ce récit des profondeurs, un récit à la Giono?


Jean Giono, Deux Cavaliers de l'Orage, Editions Gallimard, 1965

lundi 21 octobre 2013

LADIVINE...un prénom en jeu de mot?

                       
                        MARIE   NDIAYE



                            LADIVINE







LADIVINE...un prénom en jeu de mot? C'est la question que je place au cœur de ce roman. 


Quel mystère divin habite ces trois femmes et les conduit, malgré elles, sur un chemin qui semble prédestiné, inévitable? Sont-elles les lointaines héritières des héroïnes de l'antiquité grecque qu'une puissance supérieure entraîne à réaliser un destin inconnu d'elles? Car elles apparaissent soumises et consentantes. Elles ne s'opposent par aucune volonté réelle à la réalisation de ce destin qui demeure pour elles-mêmes et pour le lecteur dépourvu de sens.

Ladivine Sylla se consume dans l'acceptation de la torture que lui inflige sa fille, de la souffrance qu'elle distille par son absence mesurée et comptabilisée et à chacune de ses visites.

Malinka-Clarisse se raidit et endure le mal qu'elle nourrit en elle, sans chercher à le combattre ou à l'élucider. Elle voudrait étouffer l'amour qu'elle a pour sa mère et c'est cette douleur qu'elle choisit, incapable de se hisser jusqu'à l'effort qui vaudrait libération ou réconciliation.
Murée en elle-même, elle subit son incapacité à s'ouvrir à son mari, à sa fille et les voit partir, désespérés.C'est encore le mal qu'elle choisit comme une fatalité.

La seconde Ladivine accomplit et parachève la soumission de sa mère et de sa grand-mère. Est-ce un dieu qui l'enlève quand elle se métamorphose en chien? Le réel lui échappe. Elle  voit s'éloigner d'elle son mari, qu'elle ne reconnaît plus, ses enfants qui semblent presque des ennemis et accepte et accepte encore sans comprendre, sans savoir. Son refuge? La peau d'un bon chien au regard doux qui vient veiller sur le mari et les enfants depuis les trottoirs glacés où il se tient, imperturbable, dans cette ville d'Allemagne où vit sa famille. La fillette qui, sur ces trottoirs, serre la main de son père en jetant un regard méfiant sur le chien qui les suit et où elle a reconnu sa mère, saura-t-elle briser le cercle et se libérer de la malédiction?

Ces femmes sont des héroïnes tragiques dépassées par leur propre histoire.

L'écriture de Marie NDiaye suit ses circonvolutions, frôle les émotions, caresse les pensées et nous suivons avec bonheur les méandres de ses phrases subtiles. 

Mais, si la dimension tragique résonne en nous et nous rappelle avec force le mystère que l'homme, ou la femme, sont toujours pour eux-mêmes, la magie ou le fantastique feraient-ils figure d'excuse ou d'alibi? L'histoire de ces femmes se perd, se dissout, s'abolit dans le regard d'un chien, dans un tour de magie qui laisse le lecteur insatisfait et incrédule.



RÉSUMÉ

Trois femmes, mère, fille et petite fille, forment une lignée impuissante. Elles se transmettent leur incapacité à vivre et à communiquer. La mère, Ladivine Sylla, est une femme modeste qui entretient en son cœur et au cœur de sa fille l'illusion d'un père qui un jour les rejoindra. Elle porte à sa fille Malinka un amour immense qui finit par écraser l'enfant. Malinka s'enfuit loin de sa mère, du côté de Bordeaux, change de nom, devient Clarisse, épouse Richard Rivière et donne naissance à une fille, prénommée Ladivine. Elle fonde sa vie dans l'oubli et le rejet de sa mère qui ignore l'existence de Richard et de la petite fille, comme son mari et Ladivine ne savent rien de cette mère que Malinka-Clarisse va voir une fois par mois.
Un jour Richard, dérouté par la personnalité de Clarisse, désespéré de ne pouvoir abolir la distance qui le sépare d'elle, toujours lointaine et inaccessible, l'abandonne. Il part à son tour. Malinka meurt, assassinée par son amant. L'attente du procès plane sur le roman et mine les personnages.
C'est au tour de la seconde Ladivine d'être entraînée dans l'errance, dans la fuite et une recherche qui jamais ne se nomme. C'est un voyage qui la concrétise, en Afrique sans doute, même si la destination n'est pas clairement désignée. Ladivine est accompagnée de son mari Marko et de ses deux enfants. Elle disparaît mystérieusement , s'efface en quelque sorte. Reste la silhouette d'un grand chien brun.


Marie NDiaye, Ladivine, Editions Gallimard, Février 2013