dimanche 26 février 2012

Le corps et le langage

LE CAS JEKYLL AU THEATRE DE LA CRIEE

de Christine Montalbetti
mise en scène de Denis Podalydès, Emmanuel Bourdieu et Eric Ruf
( deuxième version)

avec un acteur Denis Podalydès

et une danseuse Kaori Ito



Hier soir, c'était, au Théâtre de La Criée, à Marseille, la dernière représentation du Cas Jekyll et la dernière chance d'assister à un spectacle superbe d'inventivité et de brio.

Christine Montalbetti a écrit Le cas Jekyll, publié aux Editions P.O.L. Il s'agit d'une adaptation pour le théâtre de la nouvelle de Stevenson, Docteur Jekyll et Mister Hyde, écrite en 1886. L'adaptation est faite à l'intention de Denis Podalydès.

Le monologue du Docteur Jekyll est écrit dans une langue qui se métamorphose avec le personnage.
D'abord d'une facture classique impeccable, elle convient au Docteur conférencier, analysant avec rigueur et méthode le cas scientifique qui l'occupe et dont il est le centre. Cette prose savante et élégante est émaillée de formules familières, de remarques "décalées" qui font le bonheur du spectateur.
On entend dans la salle des rires discrets, on apprécie l'humour d'un personnage menacé par la tragédie, on souffle un peu alors qu'une atmosphère menaçante se met en place.
Mais la langue bafouille, se délite et se perd dans la confusion de l'être pour disparaître bientôt dans des borborygmes, des grognements, des halètements et des souffles inquiétants. Hyde a pris le dessus. On a cru Jekyll maître de la situation, il finit en bête recluse et velue!

Quelle prouesse que ce jeu d'acteur en métamorphose permanente! Jekyll n'attendait qu'une plume pour devenir enfin lui-même, un vrai personnage de théâtre, se transformant sans cesse et cherchant son identité dans ce vertige de soi.

Denis Podalydès a une alliée, une complice, son double et son alter ego, la danseuse Kaori Ito. Sa première apparition est fantastique, au sens littéraire du terme...elle prend la peau de Jekyll, s'introduit dans son enveloppe charnelle et le laisse à terre! Elle virevolte et saute et suit Jekyll comme son ombre et gémit aussi et souffre. Car elle est bien plus que Hyde, elle est l'âme souffrante de Jekyll.
Si le corps de l'acteur et celui de la danseuse sont d'abord bien dissociés sur la scène, ils finiront par se confondre et l'on voit la souple et malléable Kaori s'enrouler autour de Jekyll, lui "coller à la peau", ne le lâcher jamais et Jekyll la porter avec aisance comme on porte un manteau.

Le manteau de Jekyll en effet...pour s'y réfugier, y cacher Hyde... l'acteur le jette et le passe à la danseuse, magnifique symbole de la métamorphose...l'habit fait-il le moine?

Le vêtement...le langage...on s'y cache? On s'y révèle?

Le manteau et les voiles de Kaori s'envolent dans un décor où se jouent l'ombre et la lumière. Un cercle lumineux permet au début du spectacle de représenter l'apparence, brillante et avouable, et la vérité, secrète et honteuse. Denis Podalydès entre dans le cercle et en sort tour à tour, et bien souvent reste à mi chemin pour nous dire la duplicité, le double, la confusion révélatrice des êtres.

Décor de misère, lit branlant, table renversé, rideau déchiré...une porte s'ouvre et, derrière la paroi, se jouent des gestes mystérieux, se libère l'horreur. Nous sommes livrés à notre imagination, à nos propres fantasmes. Comme dans le théâtre classique du XVIIème siècle, la bienséance s'interpose!

Ce décor semble habité par une foule tant les métamorphoses qui s'opèrent sont multiples. L'acteur et la danseuse s'y coulent, s'effaçant et surgissant de tous côtés.

Et au moment de saluer leur public, on les verra disparaître derrière le mur de la chambre, l'un à droite, l'autre à gauche et réapparaître, le premier à gauche, la seconde à droite, et vice versa pendant un long moment. C'est qu'ils continuent à jouer...Hyde? Jekyll? Les deux faces de la même humanité.

On peut encore sur le site de La Criée voir défiler quelques images de ce spectacle "fantastique".



lundi 20 février 2012

Le rêve et le réel





Pierre CENDORS, ENGELAND


Il est des moments rares dans la vie d'un lecteur assidu, des moments de pur bonheur: voilà qu'il tient entre les mains un roman qui parvient à répondre à toutes ses attentes, même les plus exigeantes!

Il lit sans piper mot, soufflé, subjugué.

Et, une fois le livre refermé, comme il n'en est pas revenu, il l'ouvre de nouveau, à la recherche de la faille. Il va bien trouver un défaut, un reproche possible, même tout petit, à se mettre sous la dent!

Voyons...la construction narrative?...rigoureuse et déroutante, tout en rupture et en continuité aussi....

Le narrateur?...des voix qui se croisent, s'entremêlent, se font écho, cependant que domine une ligne musicale majeure, celle de Fausta K.

La narration?...une histoire complexe, ou plutôt des histoires qui concourent, chacune, à la réalisation de l'intrigue centrale, une enquête sur une disparition, une enquête palpitante aux nombreux rebondissements.

L'enjeu?...C'est précisément l'enquête, l'enquête sur soi, la recherche de soi jusqu'aux limites de l'humain.

Les personnages?...mystérieux, bouleversants, héros du roman, bien sûr, mais aussi les autres, tous les autres qui gravitent autour sans être pour autant des comparses.

Le cadre?...mouvant dans l'espace et le temps, dans la durée d'une vie "au-delà du regard".

L'écriture?...Serait-ce le meilleur? Un style fin et délicat, simple et poétique, mais aussi ardu et mystérieux...c'est selon... selon le moment, l'état du personnage, les enjeux de la situation...un style en constante métamorphose, en adaptation souple, un style qui "va de soi", à son rythme.

Et l'émotion? La pensée qui court et se cherche aux confins de la philosophie?

Il faut bien l'admettre: Engeland est de ces romans qui laissent des empreintes profondes. Il ne quitte pas le lecteur mais s'enracine en lui.


Mais de quoi s'agit-il?

Berlin, 1930. Fausta K. une jeune photographe, se lance à la recherche d'un ami d'enfance disparu sans laisser de traces. L'enquête commence. L'héroïne fréquente les milieux de l'avant-garde artistique berlinoise, ainsi qu'une Ecole de Photographie, traverse la guerre, erre çà et là, atteint la ville de Pripyat, non loin de Tchernobyl...


Pierre Cendors, Engeland, Editions Finitude, 2010.







jeudi 9 février 2012

Le langage des objets




Le numéro de Février 2012 de la revue
National Geographic France









National Geographic mène l'enquête à la suite des archéologues, plongeurs et autres découvreurs passionnés qui fouillent sans relâche les eaux troubles du Rhône en ce lieu qui fut une plaque tournante du commerce dans l'Antiquité romaine, la ville d'Arles.

Ce furent le buste bouleversant d'un César vieillissant et ce Marsyas en bronze , esclave enchaîné levant vers nous son regard et tant d'autres merveilles tirés du fleuve, que l'exposition " César, le Rhône pour mémoire", fit découvrir à une foule de visiteurs incrédules. C'était au Musée de l'Arles Antique, en 2010.
Comment ce Rhône familier, qu'on longe et qu'on traverse sans y songer, peut-il recéler en ses profondeurs tout un univers insolite?

A la question, " A votre avis, reste-t-il encore beaucoup de trésors au fond du Rhône?", Luc long, responsable des fouilles, répondait:" Oui, il doit rester au fond du Rhône de fabuleux trésors. C'est un legs fabuleux pour les générations futures".

Et voici qu'une barge gallo-romaine( une embarcation fluviale à fond plat, destinée au transport des marchandises) surgit du passé avec sa cargaison d'amphores et une multitude d'objets, gobelets, assiettes, marmites, cruches, casseroles, monnaies, peignes, lampes à huile, ossements, épingles...tout un univers rendu à la lumière et livré à la curiosité des hommes.

L'archéologie, certes, nous informe sur la vie qu'on pouvait mener sur nos terres il y a 2000 ans, sur les activités des hommes, leurs techniques, leur talent. Mais elle fait bien plus que cela, elle nous renvoie à nous-mêmes, nous offre en miroir l'image du temps écoulé et nous rappelle à l'humilité.
On connaît la passion de Freud pour l'archéologie. Il accumulait dans son cabinet, provenant de fouilles en Grèce, en Italie, en Egypte, une multitude de statuettes et objets divers, symboles pour lui-même et ses patients de la recherche de soi. Quand ils nous sont donnés, ces objets se racontent et nous racontent. Plonger dans sa propre histoire, c'est aussi plonger dans l'histoire de l'humanité.

Alors que dire des plongeurs du Rhône? Ils sont les intercesseurs, patients et infatigables, qui cherchent la vérité dans la vase et l'eau verdâtre. Là les attendent des millions de pièces, souvent intactes.

National Geographic nous raconte la plus exaltante des aventures, à nos portes, ou dans nos eaux, celle des spécialistes, des plongeurs, des techniciens, des restaurateurs.

Un défi: comment remonter la barge de 31 m de long et de 3 m de large du fond fangeux du Rhône?
Comment agir pour permettre qu'en Octobre 2013 elle soulève en nous des vagues d'émotion et vienne nous toucher au plus profond?

Il faut lire les pages de National Geographic consacrées à l'épave antique et suivre absolument les épisodes de l'aventure qui ne pas manquer de se poursuivre sur les bords du Rhône.