lundi 2 avril 2012


WILLIAM IRISH L'HEURE BLAFARDE

ATTENTION...Ceci n'est pas une lecture à la mode!!! Elle date de 1949!!!



C'est la durée d'une nuit. Il est une heure moins dix au premier chapitre et six heures moins le quart au dernier.
Ils ne sont d'abord, dans le récit du narrateur, que lui et elle. Ce n'est que lorsque débutera entre eux un véritable échange qu'ils auront un nom, un prénom, Bricky et Quinn, Bricky Coleman et Quinn Williams. Ils découvrent qu'ils sont originaires du même village, Glen Falls dans l'Iowa et se reconnaissent ainsi avant de se connaître. Ils ont grandi dans deux maisons voisines. Pour Bricky, Quinn sera désormais le fils de la voisine.

Leur rencontre s'était pourtant produite sous des auspices peu favorables, un dancing où des filles gagnent leur vie en servant de partenaires...un tour, deux tours, trois tours, ou plus...un ticket rose ou davantage...à des hommes esseulés, à la recherche d'un refuge éphémère.

Quinn s'est mis dans une situation périlleuse qui risque fort de le faire accuser d'un crime qu'il n'a pas commis. Seule solution pour lui: trouver l'assassin. Ils décident de lier leur destin et se lancent alors dans une course folle à travers la nuit. Au bout de cette nuit les attend le car de 6 heures qui les ramènera chez eux, au village.

C'est l'enjeu de cette nuit où se joue leur vie. Le personnage central n'est ni Quinn ni Bricky, c'est la ville de New York, dangereuse prédatrice qui, après avoir déçu toutes leurs attentes de provinciaux, les tient enserrés dans les mailles de ses filets et ne veut pas les lâcher. C'est l'obsession qui sans cesse harcèle Bricky, les yeux rivés sur l'horloge du beffroi de Paramount.

William Irish organise une étonnante construction romanesque. Les deux amis se séparent et poursuivent chacun de leur côté, l'assassin, cherchant des indices et une piste. Le lecteur les suit tour à tour. Plongé dans la pensée et les émotions de chacun des personnages, il palpite au fil des événements. Mais le fil se brise, la piste est mauvaise, il faut repartir vers d'autres hypothèses, d'autres suspects.
La construction est une toile de fils mêlés dont on cherche le centre. Sans cesse les poursuivants croient l'atteindre, sans cesse ils le perdent de vue et s'en éloignent d'autant plus.

Le narrateur nous livre une perception du réel mouvante, en métamorphose permanente. Tout se dilue dans le doute et le désarroi. Dans cette décomposition d'un monde à la dérive, les deux héros le sont vraiment. Ces deux êtres perdus, désemparés, que rien ne prédisposait à une telle aventure, se révèlent des détectives remarquables, audacieux dans leurs pensées et leurs actes, inventifs et déterminés.

Les personnages secondaires, cernés par la perspicacité de Quinn et Bricky, sont d'un réalisme tour à tour brutal et émouvant. Tout un univers sociologique se dessine peu à peu. A chaque rencontre, à chaque confrontation, les deux amis prennent un peu plus d'épaisseur et nous apparaissent sous des aspects différents, tout en nuances.

Un style multiforme, capable d'épouser toutes les situations avec un art consommé, du dialogue au récit, en passant par une réflexion existentielle, souple et vivant dans son aptitude à formuler au plus près l'intimité des personnages, nous emporte dans une lecture passionnée.

Willian Irish est un auteur hors pair qui mériterait aujourd'hui une plus grande audience.



WILLIAM IRISH, L'HEURE BLAFARDE, 1949, Folio policier.