vendredi 18 novembre 2011

RENE GIRARD et Philosophie Magazine



Si vous voulez comprendre le monde dans lequel nous vivons, comprendre les autres et vous comprendre vous-même, tenter de maîtriser les mécanismes en marche dans notre société pour gagner quelque liberté de pensée et d'action... lisez le numéro hors série que Philosophie Magazine consacre à René Girard.

Un philosophe, un vrai philosophe, qu'il est urgent de distinguer des bavards aux allures d'intellectuels dont les médias relaient complaisamment les propos, nous livre son explication du monde, une lecture intelligente, au sens étymologique, c'est à dire qu'elle embrasse tous les aspects, tous les fonctionnements, toutes les dimensions de l'humain.

Ne nous étonnons donc pas de trouver dans ce numéro des contributeurs aussi variés que des philosophes, un psychanalyste, psychiatre et neurologue, des anthropologues, une enseignante, spécialiste en marketing, un magistrat, une sociologue, un journaliste, un biologiste...

Ils viennent tous nous montrer la pertinence, la richesse et la modernité des concepts forgés par René Girard. Les œuvres littéraires, passées au crible par le philosophe, nous fournissent des modèles. Et tour à tour, la politique, la publicité, la télévision, la justice, la guerre se révèlent à nous tels qu'ils sont en eux-mêmes, tels qu'ils sont en vérité.
Nous y voyons à l’œuvre ces mécanismes puissants que sont le désir et le mimétisme, le bouc émissaire, la révélation.

L'entrepreneur Peter Thiel, inventeur de Paypal et actionnaire de Facebook, puise chez René Girard une leçon d'indépendance d'esprit.

Nous-mêmes, dans nos comportements quotidiens, ordinaires, nous nous apercevons différents. Nous pouvons alors acquérir cette part supplémentaire de liberté qui provient du détachement de nos actes et de nos sentiments, au moment où nous en comprenons les motivations, restées jusque là cachées. Nous ne sommes plus autant aveugles à nous- mêmes.

Certes la dernière étape franchie par René Girard dans son cheminement ne convainc pas aisément. La dimension religieuse, plus précisément chrétienne, qu'il introduit par la révélation et l'Apocalypse est sujette à controverse. Philosophie Magazine donne la parole à des analystes qui montrent les failles de sa pensée.
Le tour d'horizon est donc complet.

Il ne reste plus qu'à faire l'essentiel, lire les œuvres de René Girard.



Biographie de René Girard

René Girard, né en Avignon le 25 décembre 1923, est professeur émérite de littérature comparée à l'université Stanford, et membre de l'Académie française depuis 2005. Il est l’inventeur de la théorie mimétique qui, à partir de la découverte du caractère mimétique du désir, a jeté les bases d’une nouvelle anthropologie. Il se définit lui-même comme un anthropologue de la violence et du religieux.


Le premier livre de René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, publié en 1961, met au jour les ressorts du « désir triangulaire », à travers une approche de grandes œuvres romanesques (de Cervantès à Proust). Ses intuitions sur le « désir mimétique » lui permettent d’élaborer une anthropologie comparée des grandes formes du religieux archaïque : la question du mécanisme victimaire fait ainsi l'objet de son second livre, La Violence et le sacré, publié en 1972.

René Girard entreprend ensuite de récapituler les grands acquis de sa recherche, dans Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), où il évoque, pour la première fois, l’importance pour lui des textes bibliques. Ces derniers feront l’objet de plusieurs autres livres. En 2007, René Girard ouvre une quatrième étape de son travail, avec Achever Clausewitz, où il montre que la théorie mimétique peut devenir une clé décisive pour interpréter les phénomènes de la violence contemporaine.

René Girard a été élu à l'Académie Française en décembre 2005.

René Girard a pris sa retraite en 1995, et réside aujourd’hui à Stanford.

mardi 15 novembre 2011

Une aventure en fantastique







JEROME CAYLA, Mathilde




Jérôme Cayla joue avec les genres littéraires et s'en joue!

Tout commence par une rêverie inquiétante. Une jeune femme, Marie, a quitté Paris pour rejoindre la grande maison familiale, située au bord de l'Océan, avec l'intention d'y mettre de l'ordre et de désherber le jardin, de la préparer, en somme, à accueillir la famille pendant les vacances d'été.
Mais rien n'est plus pareil...malaise, inquiétudes, sensations étranges s'emparent d'elle. L'auteur plonge assez vite son lecteur dans une atmosphère fantastique. Marie se débat, résiste, elle est professeur de mathématiques!

Elle doit pourtant se rendre à l'évidence: la maison est le théâtre d'un phénomène étrange. Une apparition surgit, une fillette qui, de plus, l'interpelle.
On oscille entre un jeu subtil d'identification- Elle pouvait rester des heures ainsi, telle cette petite fille que Marie peut voir au loin devant elle, assise sur son ancien perchoir- et le recours à la rationalité ordinaire- Elle se demande d'abord pourquoi la fillette n'est pas à l'école, sa région n'est pas encore en congés-...mais, avec à propos, l'hésitation se résout dans une remarque réaliste: Où diable, a-t-elle été s'habiller? L'humour du narrateur refoule le fantastique...qui tient bon, cependant. C'est que la fillette n'est pas vêtue à la dernière mode, en effet...tableau ancien, vieille photographie.
Elle nous entraîne à sa suite, en 1852. Elle s'appelle Mathilde. De Ma-rie à Ma-thilde, l'identification se poursuivrait-elle?

On se croit un instant dans un roman paysan, régionaliste, impression de courte durée. C'est l'aventure qui commence!

Changeant de genre, bousculant les conventions, Jérôme Cayla nous livre un authentique roman d'aventure. La Fringante s'éloigne des côtes bretonnes et file, toutes voiles dehors, vers l'Afrique, avec, à son bord, de nouvelles recrues parmi lesquelles se cache Mathilde. Une jeunette de 13 ans sur un navire! La vérité ne tardera guère à éclater.

Nous croisons dans l'équipée de rudes matelots, pleins de tendresse, des pirates sans scrupules, prêts à fournir en jeunes demoiselles les harems d'Orient, de pieux musulmans, loyaux et prévenants et tant d'autres personnages. De péripéties en émotions fortes, l'auteur met notre attention à rude épreuve et l'on se perd parfois, quand on a arrêté sa lecture la veille à un point crucial du récit et qu'on y revient le lendemain, désorienté. Malicieux narrateur qui nous oblige à relire les pages précédentes.!

Mais un autre roman s'écrit en parallèle, car, à terre, en Bretagne, l'histoire, amorcée par Mathilde et abandonnée par elle, se poursuit...roman de mœurs, roman psychologique.

Les ramifications du récit trouveront leur solution dans un épilogue à la fois dramatique et porteur d'espérance.

Et Marie? On l'avait presque oubliée. C'est le retour au temps présent et à la maison familiale des bords de mer. Un deuxième épilogue nous attend au cœur de la maison,dans un lieu resserré, étroit, bien loin des espaces infinis des océans.

Gageons que Jérôme Cayla s'est beaucoup amusé en écrivant Mathilde. C'est un roman jubilatoire qui laisse en nous des interrogations littéraires: Marie a-t-elle rêvé? Où sont les limites du réel? Et si c'était vrai?



JEROME CAYLA, Mathilde, Laura Mare Editions, 2010







dimanche 6 novembre 2011

Le mot d'avant tous les autres?

VASSILIS ALEXAKIS, Le premier mot



Pour une amoureuse de la langue, quel titre alléchant!

Le pari est audacieux, l'entreprise ambitieuse et on imagine dans quel vertige l'auteur peut nous entraîner.
Veut-il vraiment trouver le premier mot prononcé par un humain? On s'étonne, on grille d'impatience, on est tout prêt à vivre l'aventure à laquelle le titre nous convie.

La trame narrative est simple et émouvante. Une soeur va rejoindre son frère à Paris. Il est professeur de littérature comparée et sur le point de mourir d'une longue maladie.

Ils sont unis par une lointaine complicité qui prend racine dans leur enfance et leur pays natal, la Grèce. L'évocation du passé scande délicatement le récit, avec les figures rêvées du père et de la mère. Si Miltiadis est un érudit, sa soeur est beaucoup moins cultivée. Elle retire de cette infériorité le plaisir de se sentir dépendante de son frère et cela lui plaît.

Après la mort de Miltiadis, elle prend en charge son projet, laissé inachevé, trouver le premier mot. La fin du roman, très symbolique, la ramène en Grèce. Elle part retrouver le mûrier de leur enfance où son frère grimpait avec aisance. A son tour elle l'escalade, remontant ainsi l'histoire de l'humanité et celle du singe. L'Evolutionnisme tient dans l'histoire une place importante dans la recherche des origines et des sources du langage.

Elle est cependant réduite à des hypothèses concernant ce premier mot dont la connaissance est tant convoitée. On pouvait s'attendre à une telle conclusion. On ne peut se sentir déçu de ne pas avoir de réponse à une telle question.


Alors, d'où vient cet ennui ressenti à la lecture? Alors que j'étais tellement acquise à la cause linguistique et tellement avide de suivre la recherche dans cette atmosphère de tendre complicité, pourquoi ai-je eu la tentation de tourner les pages un peu plus vite qu'il ne sied à une lecture attentive?

C'est que la quête du premier mot se transforme en cours universitaires. Les spécialistes sont convoqués, spécialistes des langues, du cerveau, anthropologues avertis et tous nous assènent de longs discours dont l'intérêt est indéniable...mais ont-ils leur place dans un roman?
On finit par se dire que telle ou telle sommité n'a pas encore été consultée et on s'amuse de la voir arriver quelques pages plus loin!

Il faut ajouter à cela la bibliographie abondante que l'auteur, très scrupuleux, ne manque pas de mentionner ...en citant bien sûr de longs passages très instructifs, et les discussions, non moins abondantes, nourries de réflexions, de références, de détails sur telle lettre, le r par exemple.
Les échanges sont d'autant plus envahissants que les personnages sont nombreux et que la soeur de Miltiadis les sollicite avec entêtement.

Le premier mot est-il un roman ou un essai? Je crains qu'il ne soit ni l'un ni l'autre...trop peu scientifique dans sa démarche pour un essai...trop parasité par le discours universitaire pour un roman.
Les personnages qui avaient toute ma sympathie se sont dilués sous mes yeux fatigués. Ils ont perdu leur âme, leur authenticité.
La plume de l'écrivain est froide. L'émotion n'y vibre que trop rarement.



VASSILIS ALEXAKIS, Le premier mot, Stock, 2010.