JEAN GIONO
DEUX CAVALIERS DE L'ORAGE
Au creuset des mots, dans la langue douce et dure, assurée et tremblante, poétique et cruelle, la langue de Giono, se lève peu à peu, comme un relief que révèle le brouillard dissipé, une formidable histoire, oui formidable, c'est-à-dire bouleversante et terrifiante.
La réalité naît des mots qui se cherchent en pourchassant la vie et les êtres. On les voit se métamorphoser sans cesse dans leur quête assidue. Ils guettent, traquent, frôlent et caressent les âmes des personnages et les poussent à se dévoiler, à se réaliser sous nos yeux.
Marceau et Ange, les deux frères héros du roman, s'aiment et s'admirent mutuellement. Ce que Giono traque en eux, sans relâche ni concession, c'est cet amour fou qui porte en lui la destruction et la mort.
La composition du roman est une respiration. Le souffle bien rythmé d'un marcheur déterminé pousse fermement devant lui les trois premiers chapitres, l'histoire des Jason, le père, les fils, les deux guerres et le travail passionné, les mules et les chevaux.
Puis, dans un long chapitre, la respiration ralentit, se suspend, apeurée. Giono joue avec les nerfs du lecteur, lui prédit une catastrophe imminente que tout semble annoncer inévitable, la couleur du ciel et les craintes prémonitoires des femmes. Marceau et Ange sont en danger, on ne sait lequel mais ils sont assurément en danger. La catastrophe avorte. les deux frères rentrent sains et saufs, ils arborent même, triomphants, un trophée, un énorme quartier sanguinolent d'un cheval mort, abattu par Marceau.
Et les femmes s'agglutinent autour de "cette chose pleine de sang". "Mais c'est du sang, elles se taisent, elles attendent, elles écoutent, elles ne bougent pas...Quelle histoire! La plus grande histoire du monde...Le sang est le plus beau théâtre". Cet instant est le cœur du récit, la véritable annonce de la véritable catastrophe à venir!
Alors la respiration s'accélère de plus en plus durant cinq chapitres jusqu'au halètement final, au dernier hoquet d'Ange fauché d'un grand coup de serpe.
Les mots de Giono ont touché le fond de l'âme mise à nu dans sa bouleversante cruauté. L'homme est un héros tragique, incapable, même au plus fort de l'amour, d'échapper à la violence et au sang.
Giono, on le sait, est sorti de l'expérience de la guerre sidéré par cette découverte. La fascination et la malédiction du sang versé hantent ses œuvres, ainsi Un Roi sans divertissement.
RESUME
C'est une histoire d'amour entre deux frères, l'un puissant, protecteur et dominateur, Marceau dont la force physique et la volonté sans faille viennent à bout de toutes les difficultés, l'autre, délicat, ébloui, éblouissant, Ange "Mon Cadet", qui n'existe d'abord que dans ce contraste violent avec son frère.
C'est une histoire d'amour dans les Hautes Terres "par là- haut", c'est donc une histoire d'amour fou et désespéré, c'est l'histoire des Jason.
Quel résumé pourra jamais donner la moindre idée de ce récit des profondeurs, un récit à la Giono?
Jean Giono, Deux Cavaliers de l'Orage, Editions Gallimard, 1965
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