vendredi 28 février 2014




                                                      UN  LANGAGE  PREMIER



               

   


                    DIANE   MEUR

      LES  VILLES  DE  LA  PLAINE




                 Un langage premier, un langage naissant pour dire le désir d'un renouveau, pour insuffler aux "choses en devenir"  une possibilité d'existence, c'est la délicieuse impression qui souvent m'envahit à la lecture du livre de Diane Meur, Les Villes de la Plaine. Ces "choses en devenir" ne sont même pas des espoirs ou des promesses, elles flottent dans l'air dès le premier chapitre, elles flottent autour de...mais comment s'appelle-t-il ? C'est un anonyme dans un monde inconnu, inhospitalier où, précisément, les mots ne désignent plus les choses.

Les gens comprenaient mal son parler des montagnes, ils lui faisaient tout répéter, et lui comprenait encore moins leurs façons de dire, à eux. Ils appelaient beaucoup de choses par d'autres noms, ou peut-être donnaient des noms à des choses qu'il n'avait jamais vues, ça faisait comme des trous dans leurs paroles, des bouts entiers qui n'avaient pas de sens, qui n'étaient que du bruit.

C'est au début du deuxième chapitre qu'une femme s'intéresse à son nom...Ordjéneb...Ordjou. La possibilité d'existence pour Ordjou dans cette ville étrangère réside dans le rire de cette femme...Un vrai nom de montagnard, ça, comme un tas de cailloux qui vous roulent dans la bouche...et dans le regard qu'elle porte sur lui. Elle-même n'aura son nom, Djili, qu'au chapitre trois...Tu diras que tu viens de la part de Djili...et c'est elle qui se nomme.

Cette fois il rougit vraiment: il n'avait même pas pensé à lui demander son nom!

Et cet oubli, cette grossièreté d'Ordjou désigne l'enjeu majeur de ce roman, dire les mots qui font exister, et en indique l'extraordinaire difficulté.

Les "choses en devenir" ne cessent alors de rêver leur naissance et de lutter pour ne pas être englouties dans la paresse, la peur ou, pire, la pesanteur du réel. 

Ainsi de l'amour entre Djili et Ordjéneb que le récit, longtemps, cherchera à faire exister. 

Ainsi du texte des  lois que le scribe Asral, effrayé puis déterminé, veut rendre à sa vérité première dans une renaissance révolutionnaire, capable de renverser le vieux monde. Les mots peuvent en effet bouleverser l'ordre existant.

Ainsi de tous les éléments du récit qui aspirent, à travers le langage de l'auteur, à une libération.




Résumé


Dans une civilisation antique imaginaire, mais qui éveille en nous un curieux sentiment de familiarité, le scribe Asral se voit chargé de produire une copie neuve des lois. Grâce aux questions naïves de son garde Ordjéneb, il s’avise bientôt que la langue sacrée qu’il transcrit est vieillie et que la vraie fidélité à l’esprit du texte consisterait à le reformuler, afin qu’il soit à nouveau compris tel qu’il avait été pensé quatre ou cinq siècles plus tôt.
Peu à peu, cependant, le doute s’installe. Qui était Anouher, législateur mythique dont on a presque fait un dieu ? Ces lois qui soumettent à un contrôle de chaque instant la vie publique, les relations privées et jusqu’au corps des femmes, sont-elles toutes de sa main ? Et Asral a-t-il plus de chances de le savoir un jour que de se faire aimer de Djinnet, un jeune chanteur du faubourg des vanniers ?


Diane Meur, Les Villes de la Plaine, Sabine Wespieser Editeur, 2011                     

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