mardi 4 octobre 2011

Les mots au fond des yeux

William Irish, Des yeux qui hurlent

Non, ce n'est pas l'actualité littéraire de la rentrée 2011! La nouvelle Des yeux qui hurlent a été écrite en 1939.
William Irish est considéré comme un maître du suspense et s'il est, en effet, passé maître dans cette écriture si particulière qu'est le polar, c'est que sa plume explore les gouffres où se terrent les angoisses et les haines, comme elle peut poétiser avec délicatesse les émotions  et les tendresses.
A soixante ans, Janet est totalement paralysée depuis dix ans. La chaleur du soleil, la vue du ciel et la présence de son fils Vern, dont elle attend patiemment le retour à la fin de la journée, illuminent la vie qui lui reste..." quelque chose d'encore humain, quelque chose d'encore vivant, qui aspirait aussi à son bonheur", car son esprit est toujours aussi vif et ses pensées toujours aussi claires.
Mais soudain, son monde se fissure quand elle surprend le projet de sa belle fille, assassiner son mari! Janet n'a que ses yeux pour dire, alerter, hurler.
Avec sa prose intense, William Irish sature ce regard d'émotions sans paroles. Avec ses mots d'écrivain, il fouille ces yeux qui imaginent des éclats, des vibrations en deçà de l'invention du langage, en deçà même des cris primitifs de l'horreur. Il accompagne Janet au plus profond de sa souffrance, de son urgence et l'aide à faire de son regard un lexique, un dictionnaire, une grammaire destinés à son fils. Il y met les nuances et les structures de la langue sous forme d'infinies variations.
 Ainsi au fil des questions de Vern, alerté d'instinct dès qu'il plonge dans le regard de sa mère, l'écrivain égrène: "Les yeux de Janet...Ses terribles yeux...Ses yeux, ses pauvres yeux qui implorent...Ses yeux, ses yeux hallucinés...Ses yeux, ses yeux désespérés".
Au point de départ, pourtant, le code est simple entre eux, un battement des paupières pour non, deux battements pour oui. Et la communication s'installe et le style sobre et puissant de William Irish nous livre l'âme de son héroïne-" Il lui semblait qu'elle ne  pourrait jamais battre assez vite les paupières: oui, oui, oui!...oui, oui, oui, répondirent ses yeux, tandis que son coeur entonnait une action de grâces"- et la fièvre de sa pensée.
La tension dramatique, portée à l'extrême, vient s'abolir dans le crime qui engloutit pour un temps la conscience de Janet. La prose poétique hésite entre violence et apaisement:" Ce n'était plus un murmure qui emplissait sa tête, mais un véritable rugissement, comme si le train se ruait d'une oreille à l'autre...Au sein des ténèbres, il ne subsistait plus maintenant qu'une pointe de bleu."
De cet anéantissement surgit une autre violence, le désir de vengeance...faire payer aux criminels la mort de son fils! Un jeune homme providentiel vient alors rencontrer son regard. Elle lui apprend le code...oui...non...et parfois oui et non, sait rester sans réponse pour stimuler son interlocuteur:" C'était vraiment un garçon très intelligent que son nouvel allié!".
Janet aura sa vengeance, le crime sera découvert!

Il faut pénétrer l'univers de William Irish, un maître du suspense, assurément, et un maître en psychologie, un connaisseur d'âmes.

William Irish, Romans et nouvelles, Editions Omnibus.


Biographie de William Irish

William Irish est le pseudonyme de Cornell Woolrich, écrivain américain né le 4 décembre 1903 à New York, où il meurt le 25 septembre 1968.
Né dans un milieu aisé, il suit son père, ingénieur des travaux publics, au Mexique, à Cuba et aux Bahamas. Après le divorce de ses parents, à l'âge de 15 ans, il rentre à New York à pour vivre auprès de sa mère, pianiste, et termine ses études en 1925 à l'université de Columbia. Il écrit son premier roman, Chef d'accusation en 1935, influencé par l'œuvre de Francis Scott Fitzgerald. Il est engagé comme scénariste à Hollywood pour travailler sur l'adaptation de Les enfants du Ritz, paru  en 1927. Il se marie en 1930 avec Violet Virginia Blackton (1910-1965), fille du producteur de film muet. J. Stuart Blackton., mais cette union est un échec et il divorce au bout de trois mois. Il retourne alors vivre chez sa mère avec qui il vivra jusqu'à sa mort, dans le même appartement d'Harlem. Jusqu'en 1940, les éditeurs refusent de publier ses livres, il publie dans des pulps près de trois cent cinquante nouvelles sous trois noms différents : William Irish, Georges Hopley et son vrai nom . Il connaît le succès à partir de 1940, avec La mariée était en noir. En 1954, il reçoit le Grand prix de littérature policière en France pour Un pied dans la tombe. Sa mère meurt en 1957, il s'isole de plus en plus, sombre dans l'alcoolisme. Il est amputé d'une jambe atteinte de gangrène. Il meurt d'une attaque en 1968.
De nombreux metteurs en scène ont porté les œuvres à l'écran de ce maître du suspense, notamment Alfred Hitchcock pour Fenêtre sur cour, d'après une nouvelle, et François Truffaut pour La sirène du Mississippi et La mariée était en noir. William Irish a également écrit des récits fantastiques. Les œuvres de William Irish sont parues en France dans la collection Série blême de Gallimard, et ont également été éditées par La Découverte et Rivages.

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