C'est un roman pour aujourd'hui, pas seulement de notre temps, pour notre temps, mais pour ces jours-ci, ces derniers jours et les deux jours à venir jusqu'au dimanche 6 mai 2012.
C'est une histoire qui raconte la chasse à l'étranger, De Anderer, c'est une histoire de peurs incontrôlées qui conduisent à l'horreur absolue, c'est une histoire qui éveille nos consciences alors que nous avons vu, dans la campagne électorale qui s'achève, surgir la haine de l'autre, de l'étranger ou de celui qu'on s'acharne à désigner ainsi, alors que nous allons voter et que l'ignorance, la crainte, la brutalité, sans cesse entretenues dans la population par des êtres dénués de tout scrupule, uniquement intéressés par le pouvoir et la domination, risquent de préparer des lendemains terrifiants.
Oui, c'est un livre à brandir comme un avertissement pour les électeurs du 6 mai!
Le héros éponyme, Brodeck, dit de ses bourreaux et de ceux qui l'ont livré à ses bourreaux;" C'est la peur qui les avait changés en monstres, et qui avait fait proliférer les germes du mal qu'ils portaient en eux, comme nous les portons tous en nous".
Il faut admettre que l'homme n'est pas "bon naturellement", comme le rêvait Jean-Jacques Rousseau au XVIIIème siècle. Il serait même plutôt tenté par le sang et le carnage. Loin que la civilisation le corrompe, on ne peut compter que sur elle pour l'élever au-dessus de sa condition première...la civilisation, c'est à dire la culture, la connaissance, et d'abord la connaissance de la différence, la réflexion, la raison, toutes ces valeurs que la Philosophie des Lumières a propagées.
Le héros éponyme, Brodeck, dit de ses bourreaux et de ceux qui l'ont livré à ses bourreaux;" C'est la peur qui les avait changés en monstres, et qui avait fait proliférer les germes du mal qu'ils portaient en eux, comme nous les portons tous en nous".
Il faut admettre que l'homme n'est pas "bon naturellement", comme le rêvait Jean-Jacques Rousseau au XVIIIème siècle. Il serait même plutôt tenté par le sang et le carnage. Loin que la civilisation le corrompe, on ne peut compter que sur elle pour l'élever au-dessus de sa condition première...la civilisation, c'est à dire la culture, la connaissance, et d'abord la connaissance de la différence, la réflexion, la raison, toutes ces valeurs que la Philosophie des Lumières a propagées.
Sinon, et bien, sinon... écoutons, à travers l'histoire de Brodeck, ce qui peut arriver et qui est déjà arrivé. Mais la première chose que les hommes perdent sur le chemin de la barbarie, c'est la mémoire.
"Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien.
Brodeck, c'est mon nom.
Brodeck.
De grâce, souvenez-vous.
Brodeck."
C'est ainsi que se termine le roman, sur une revendication d'existence, de reconnaissance.
Brodeck a fui, enfant, des massacres qu'il a fini par enfouir en lui-même en vivant dans un village, entre mythe et réalité, où les hommes, réconciliés avec eux-mêmes, ont oublié l'exclusion. Mais la bête est toujours prête à s'éveiller. Le maître qui l'a instruit et choyé le dénonce aux fratergekeime qui installent dans leur vie un ordre nouveau," Notre race est la race première, immémoriale et immaculée, ce sera la vôtre aussi si vous consentez à vous débarrasser des éléments impurs qui sont encore parmi vous".
Brodeck survit aux persécutions du camp et revient au village. Alors commence une autre histoire, parallèle à la précédente, l'histoire de l'Anderer, cet autre étrange et différent par ses vêtements, son langage, son maintien, son âne et son cheval, sa culture, son sens de l'observation, son intelligence. Les monstres l'abattront, les monstres?...les villageois ramenés à leurs peurs irrationnelles, à leur bestialité aveugle, à la violence primitive. Et c'est Brodeck que l'on charge, sous la menace, d'écrire le Rapport de ce meurtre.
D'autres narrations croisent ces deux-là. Le récit est d'autant plus pathétique que ces hommes violents et bornés peuvent apparaître aussi humains et tendres, souffrants et fragiles. On aperçoit alors ce possible émouvant et douloureux, cette chance qu'ils ont en eux de réaliser leur plus belle part d'humanité et qu'ils noient dans le sang.
Honte à tous ceux qui stimulent, pour leur plus grand profit, la part sombre, sensible à la peur, et qui choisissent le mensonge et l'obscurantisme pour maintenir dans l'ignorance ceux qui pourraient s'élever vers la raison!
Merci à Philippe Claudel pour ce magnifique roman qui s'adresse à notre plus belle part et qui constitue un acte de confiance, une écriture humaniste.
Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck, Editions Stock, 2007